Le tribunal judiciaire de Béthune a récemment rendu une décision en référé dans un conflit de voisinage où des propriétaires avaient illégalement muré l’accès aux toilettes de leurs voisins.
En ordonnant une remise en état immédiate des lieux sous astreinte, le juge rappelle que tout acte unilatéral sans autorisation préalable d'un juge peut être sanctionné comme un trouble manifestement illicite.
Analyse approfondie de la décision rendue en référé
Contexte général
Le litige porte sur une question de droit de propriété et... de voie de fait !
En effet, en l'espèce, deux parties (des voisins) étaient en désaccord sur la répartition exacte des droits de propriété, notamment sur l’usage d’un local contenant des WC qui appartenait à l'un d'entre eux.
Mes clients, propriétaires de la pièce litigieuse, des WC donc, disposaient d'un acte notarié parfaitement clair sur la contenance du bien.
Mais, les voisins, nouvellement arrivés, estimant être propriétaires des fameux WC, ont décidé de se faire justice à eux même en récupérant la pièce litigieuse.... à coups de masse, et en murant derrière eux !
Nous avons donc été contraints de saisir le juge des référés... !
Les faits
La partie demanderesse (propriétaire de leur immeuble depuis 2003) a constaté que ses voisins, après l'acquisition de leur bien en 2022, ont illégalement accaparé puis muré l’accès à une pièce lui appartenant. Nous avons qualifié cet acte de voie de fait.
La partie défenderesse, pour sa part, contestait les droits de mes clients sur la pièce litigieuse. Elle soutenait qu’une erreur dans les actes notariés ou le cadastre ( qui pourtant n'a aucune valeur juridique!) était suffisance pour justifier leur intrusion, et que des mesures correctives s’imposaient... mais sans saisine d'un juge au préalable !
Dans le cadre de la procédure en référé, nous avons donc sollicité :
La reconnaissance des droits de mes clients sur les WC
La libération immédiate de cette pièce sous astreinte financière.
La condamnation de la partie défenderesse à des travaux de remise en état ainsi qu’au versement d’une provision à titre de dommages et intérêts, en raison du préjudice lié à l’impossibilité de vendre leur bien.
Arguments de la partie défenderesse
Incompétence : Elle demandait le dessaisissement du juge des référés au profit du juge du fond, invoquant l’absence d’urgence et l’existence d’une contestation sérieuse sur le droit de propriété.
Abus de droit : Elle contestait nos prétentions en soutenant que les actes de propriété ne permettaient pas de déterminer avec certitude les limites entre les deux biens.
Condamnation de la partie demanderesse : Elle réclamait des frais pour procédure abusive.
Décision du tribunal judiciaire de BÉTHUNE
1. Sur la compétence du juge des référés
Le juge a rappelé qu’il peut statuer en référé pour :
Faire cesser un trouble manifestement illicite.
Prendre des mesures conservatoires même en présence d’une contestation sérieuse.
En l’espèce, le tribunal a rejeté l’argument d’incompétence de la partie défenderesse et l'exception de litispendance qui était soulevée.
Bien que la propriété soit contestée, l’acte de "murage" constitue, pour le juge, une voie de fait qui relève de l’urgence.
2. Sur la question de propriété
Le tribunal a refusé de statuer sur la propriété des WC, considérant qu’il s’agit d’une question complexe relevant du juge du fond.
3. Sur le trouble manifestement illicite
Le murage de l’accès aux WC a été qualifié de trouble manifestement illicite, justifiant une mesure de remise en état immédiate.
Le juge a souligné que la partie défenderesse ne pouvait, sans décision judiciaire, modifier unilatéralement l’état des lieux et s'approprier une pièce aux seuls motifs qu'elle estimait en être propriétaire.
4. Sur la demande de provision
Le tribunal a rejeté la demande de provision estimant que :
Les préjudices allégués (perte de jouissance, impossibilité de vente, etc.) étaient intimement liés à la question de propriété, qui demeurait contestée.
Il existait une incertitude quant à la responsabilité de chaque partie dans les modifications des lieux.
Nous verrons donc ce que décidera le juge du fond déjà saisi... stay tunned !
5. Sur les condamnations
Le tribunal a néanmoins ordonné :
Remise en état des lieux : La partie défenderesse doit libérer les WC et rétablir l’état antérieur sous astreinte de 500 € par jour de retard.
Frais et indemnités :
Paiement de 2 500 € à la partie demanderesse au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Outre la prise en charge des entiers dépens.
POUR CONCLURE ?
Litiges entre voisins : la justice face au droit de propriété
Vous l'aurez compris, le litige portait notamment sur une pièce contenant des WC, dont l’accès avait été accaparé puis muré par les voisins de mes clients.
Les enseignements clés :
L’urgence et l’illicéité priment : Le juge des référés peut intervenir lorsqu’un acte, tel que l'accaparement puis le murage d’un espace disputé, constitue un trouble manifestement illicite. Il n’est pas nécessaire que la question de la propriété des lieux soit définitivement tranchée pour exiger une remise en état.
Respect du droit : Les propriétaires, même en cas de contestation sérieuse, ne peuvent modifier l’état des lieux unilatéralement. Toute modification doit être validée par une décision judiciaire.
Les demandes financières scrutées : Les réclamations de provision pour préjudices (comme l’impossibilité de vendre un bien) peuvent être rejetées si elles dépendent de la question de propriété en débat devant le juge du fond.
Conclusion : Cette affaire souligne l’importance de respecter les procédures légales en cas de litige de voisinage. Les troubles manifestement illicites, comme des appropriations abusives, peuvent entraîner des condamnations immédiates en référé.
Cependant, les demandes plus complexes (dommages-intérêts ou propriété) devront être tranchées par une procédure au fond.
Tribunal judiciaire de Béthune, Ordonnance de référé du 6 novembre 2024, RG n° 24/00231
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