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Quand la justice protège un arbre : vers un droit des troubles de voisinage plus nuancé et écologique ?



Le 3 octobre 2023, le tribunal judiciaire de Nantes a rendu une décision particulièrement instructive en matière de conflit de voisinage, en rejetant une demande d’élagage d’un tulipier de Virginie implanté à moins de deux mètres de la limite séparative. Une lecture enrichie des règles civiles classiques, qui met en lumière l’émergence de nouvelles logiques de raisonnement : écologique, proportionnelle et systémique.


Un arbre en infraction ? Pas si simple…


Les demandeurs, invoquant l’article 671 du Code civil, demandaient l’élagage de l’arbre situé trop près de la limite séparative. Il est de principe que les plantations de plus de deux mètres doivent être établies à au moins deux mètres de la propriété voisine, sauf prescription acquisitive ou accord exprès.


Mais ici, le tribunal ne s’en est pas tenu à une lecture littérale.



Une appréciation fondée sur le rôle environnemental de l'arbre


Le juge constate tout d’abord que l’arbre ne génère aucun trouble anormal de voisinage : pas de nuisances significatives, ni de danger avéré. Surtout, il souligne l'intérêt environnemental et collectif du tulipier, qui doit dès lors être préservé.


« À ce titre, il doit être préservé conformément à l’article 2 de la Charte de l’environnement selon lequel “toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement.” »

La juridiction franchit ainsi une étape supplémentaire, en intégrant la Charte de l’environnement – à valeur constitutionnelle – comme fondement normatif à sa décision, et en opposant ce texte à l’application mécanique des règles du Code civil.



Le préjudice écologique comme levier juridique


La décision va encore plus loin en s’appuyant sur le préjudice écologique, consacré à l’article 1247 du Code civil :


« La coupe de cet arbre à hauteur de deux mètres est de nature à causer un préjudice écologique au sens de l’article 1247 du Code civil. »

Ainsi, l’abattage partiel de l’arbre, pourtant conforme aux articles 671 et 672, ne peut être ordonné s’il entraîne une atteinte significative à l’environnement local. Le juge procède à une appréciation in concreto de la situation : l’environnement immédiat, le rôle de l’arbre, et les effets de sa coupe.


Un entretien, oui ; une mutilation, non


Enfin, le tribunal encadre les obligations des propriétaires :

« Seul un entretien régulier et en conformité avec les périodes usuelles de taille de la végétation est nécessaire s’agissant spécifiquement des branches débordant de la parcelle appartenant à AB SOULAS et à AC AD sur celle appartenant à XY et Z AA. »

Une solution qui s’écarte à nouveau du principe de droit strict posé par le Code civil (où le voisin est en droit d’exiger l’élagage des branches qui empiètent sur sa propriété), pour privilégier une solution équilibrée, raisonnable et écologiquement responsable.



Conclusion : vers une conciliation renouvelée des droits privés et de l’intérêt environnemental… sous réserve


Cette décision s’inscrit dans une dynamique jurisprudentielle en gestation : le droit des troubles de voisinage semble s’ouvrir à des considérations écologiques et collectives, à rebours d’une application automatique des textes civils.


Mais attention : il s’agit d’une jurisprudence isolée, qui ne reflète pas encore une position majoritaire des juridictions françaises. Le principe de la distance de deux mètres reste d’application stricte dans la majorité des contentieux.


Cette affaire n’en constitue pas moins un signal intéressant, annonciateur peut-être d’une évolution à venir du contentieux de voisinage, vers une appréciation plus contextuelle et environnementalement responsable.



TJ de Nantes du 3 octobre 2023 (n° RG 23/01072)


 
 
 

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© 2023 par Maître Élodie CHEIKH HUSEIN

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